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Pour Tal

 

J’aurais aimé lire Outrages plus tôt pour en parler ensemble. Je t’aurais sans doute dit que l’écriture flottante et soignée m’a déstabilisée, surtout quand tu emploies des mots plus âgés que nous. Que certaines longues phrases m’ont égarée à la manière de ta narratrice qui chemine en cherchant des mots sur une mémoire traumatisée. Je t'aurais dit comme j’ai marché avec elle dans des rues franciliennes où j’ai cru reconnaître l’hôpital Ténon et ses infirmières inaudibles. La petite musique d’une langue aux virgules inattendues mais aussi le bruit de tes doigts ultra rapides que je verrai pianoter sur un téléphone années 2000. Sautillant pour acheter des piles de livres sur le pouvoir et le langage et l’enfance et les féminismes, si bien que j’ai googlé ton nom à la caisse de la librairie. La femme à qui tu as donné toutes tes pièces, c’était le début du printemps, elle a dit qu’on était fraîches et je n’en revenais pas ce soir de te rencontrer si lumineuse et si vivant. Sur une autre terrasse un homme s’est adressé à toi en parlant de l’Iran, d’Israël et donc de la guerre, c’est fffouu tu as dit et je sais pas si c’est ton prénom qui a fait du bruit mais tu as répété que toujours tu provoquais des choses avec des gens à qui on n’avait jamais parlé. L’homme a accumulé un tas de mots incroyables, il a insulté on ne sait pas bien qui. Tu es restée très émue d’avoir provoqué tout ça par un simple nom, les yeux pétillants, la voix un peu plus éraillée de la nuit de l’after et tous ses mots ont creusé un trou dans ce que tu cherchais à affirmer et défendre, j’avais du mal à suivre. Trop de personnes pour une seule phrase, trois idées succédant à une autre, tu parlais vite pour disperser les doutes, mais à ton écoute tout s’apaisait soudain dans une très grande douceur. Parce qu’une seule vie ne suffit pas pour combattre les injustices faites aux enfants, le racisme, la violence patriarcale, l’antisémitisme, l’inceste et l’homophobie, tu militais sans interruption. 

J’imagine des tas de rituels forcément magiques où chaque personne va venir poser d’autres mots près des tiens, pas pour consoler mais pour renommer tes colères à plusieurs. Car rien n’est encore paisible et nous avons besoin d’histoires.

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Tal s’est donné la mort le 25 octobre dernier. Son deuxième roman, Outrages, est paru aux éditions Blast. Elle rédigeait une thèse sur la domination des adultes sur les enfants, comme point aveugle dans la philosophie contemporaine. Ses ami.es et proches ont écrit ceci dans un communiqué : « Tal est mort de l’inceste, de l’antisémitisme, de l’homophobie, de la domination patriarcale contre lesquelles elle luttait chaque jour, et contre lesquels nous continuerons de lutter ». 

Publié en mars 2021, Outrages suit le trajet d’une jeune infirmière lesbienne interne en psychiatrie, de son lieu de travail à son quartier d’enfance. Après dix ans d’absence, elle rend visite à ses parents et à ses frères dans l’espoir de révéler les violences incestuelles qu’elle a subies de la part de son grand-père. La narratrice, dont le corps en surpoids somatise chaque jour, confond douleur et excitation. Avec rage et douceur, Outrages met en scène les multiples enfermements du corps et de l’identité sexuelle et juive qui ne doivent pas dire leur nom. En couple avec Sarah, elle le cache à ses collègues, comme en écho à ses origines juives que sa famille a toujours pris soin de dissimuler. Les mots n’ont d’utilité que s’ils rencontrent un « destinataire » et la parole n’existe que par son « adresse » : « Parler, oui, mais où, et comment, si c’est pour que les sons se noient entre les lèvres closes ? ».  

 

 

Flora Moricet

 

 

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Outrages de Tal Piterbraut-Merx, éditions blast, 152 pages, 16 euros
A lire également sur cette page, l'hommage à Tal Piterbraut-Merx des éditions Blast ainsi que le communiqué des ami·es et proches de Tal

Ces textes créent un continuum autour de Tal, de ce qui le distinguait et nous la rendait indispensable.

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