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aperçu·e une dernière fois à la lisière

 

​​

Le fruit s’est détaché de l’arbre

tombé jusqu’au sol

jusqu’à se décomposer

 

dans la bouche la langue se retourne

ce que l’on voulait dire glisse aux pieds

jusqu’au sol

jusqu’à se décomposer

là où

des yeux regardent la vie par-dessous

 

 

 

la chair du fruit rejoint

la chair des animaux en lisière

 

se laissent apercevoir une dernière fois

une dernière fois et iel, 

chair disparue d’autour le noyau

subsiste

autrement

 

[...]

 

sans nom ni maison

m’en aller vers les heures creuses

 

les oiseaux se tiennent au bord de leur migration

les raisons ricochent en écho

 

le dernier continent s’apprête à céder 

par trop d’absence

qui ne tient pas les choses entre elles

 

iel, parti·e depuis longtemps

deux patous blancs pour boussole

deux patous blancs 

gambadent autour de la colline

et lappent les plaies

 

s’emporter soi laisser le reste

à l’orée de l’automne

 

rejoindre lisière

creuser le sol, sortir de petits vers

comme des parts d’enfance

 

se déployer

vers les réponses aux peut-être

 

construire sa coque à rebours du vent

 

 

 

j’enjambe

je peine

je feule

j’observe l’invisible

dans le bruissement du paysage

 

sur le dos un manteau décousu

des phrases mal fagotées

 

c’est le moment de disparaître vers le brâme du cerf

 

dans la bruyère j’ai perdu ma tendresse, durci

 

[...]

 

je poursuis pour

suis 

je au plus près de l’existence

me fonds écorce et peau laisse derrière

le moindre souvenir

 

les histoires ne parlent qu’à moitié

 

les bogues sont faites pour piquer.

 

noyau·x pour plus tard, extrait

 

 

° ° ° ° °

 

 

aversée

 

[...]

 

je me parsème on n’y voit que du feu

 

l’écorce ici est 

l’outil de la survie

et l’énigme de la caresse

 

le temps se tourne vers l’effort

 

on s’appuie sur ce qu’on console de mots

consolide

comme on rassemble la force

 

 

 

je me nourris de bois brûlé

 

on m’a appris à faire détaler la peur

 

je lièvre aux dangers

 

de la corne sur les pensées

 

 

 

la nuit on voit des formes comme

le contraire d’une bougie

des ombres qui vacillent

elles se propagent en écho jusqu’aux bourgs

 

ils ne savent pas peindre l’heure bleue

 

ici on laisse le pinceau

nous recouvrir

tout recouvrir

tout se fonce

la nuit progressivement sur le jour 

tombe

degré par degré jusqu’à ne plus voir

seulement se sentir

 

là où s’épuise le reste

 

 

 

je presse le haut de ton rire

contre le saillant du mien

 

tes nerfs sont lourds

fatigués d’orage

 

je te fabrique le branchage de mes mots

tu viens les chercher comme des vers

pour rire encore

 

 

 

fendillée je vais

de travers à mon désir

je solitaire parmi les fêlures

 

dans le repli des plaies

ronces encore

pas grave

la terre ardoise neuve

on crache des pépins

 

 

 

on s’oublie dans les rets

perdant les noms les

façons

attraper un bout de bois

se refonder

 

danser dans les repères

ça s’efface

d’autres apparaissent

en trois temps

 

on s’oriente à l’odeur de la pluie

 

 

 

nos museaux fouillent les racines

la vie se sédimente en permanence

nos coques rejoignent le sol

 

les choses se versent les unes dans les autres

les histoires anciennes

s’impriment dans les naissances

 

les mots en eau qui coule

se versent dans les phrases

se déversent

 

on habite le printemps

mais

les saisons s’éliment

et les averses débordent

 

intérieure au dehors je me verse

toujours plus loin

ainsi de suite

des murmures à leurs oreilles

une douceur de terre battue

 

[...]

 

je me réponds en écho

et je suis de plus en plus forte

très concentrée

ou complètement diffuse, presque rien

 

 

noyau·x pour plus tard.

 

noyau·x pour plus tard, extrait

 

 

° ° ° ° °

 

 

c'est peut-être un dimanche et ses lèvres au bord de tomber 

on n’a pas envie de voir

on se résout à regarder ailleurs ou aller plus loin

l’odeur de l’étang remonte

sur le rivage, il y a l’empreinte de son visage

 

même brouillée la surface distille ses indices

il n’est pas nécessaire de plonger

on pense pouvoir éviter de se faire happer

on finira comme tout le monde dans le noir

avec plusieurs noms

 

le ciel traîne on se laisse du temps

 

 

 

 

ce qui ne nourrit pas ne pourrit pas forcément

les choses retournent à l’eau se décomposent et puis 

 

on essaie d’appeler les oiseaux 

on ne sait jamais si les chemins ont des issues 

il faut tout emprunter 

les yeux des autres

les choses commencent à se rassembler dans un cours d’eau 

on y place les pertes, elles deviennent roseaux

 

 

 

 

la clarté précise sa fin et nous tient dans ses rets de lumière

pendant que les traits de l’enfance se fracassent au rythme des marées

 

celle·lui qui est limon, on ne l’appelle pas 

ses sédiments se perdent les uns sous les autres

 

c’est l’eau qui lèche pour donner corps et cœur qui lâche pour laisser l’eau

tout recouvrir ou diluer

 

 

 

 

quand iel n’est pas là son fantôme prend la place sur la berge

peint les incertitudes en couleur incertaine

fabrique des monstres tristes 

avec de la neige de trois jours.

 

 

 

 

je limone mes os

et nettoie les ailes des oiseaux

 

 

 

 

maintenant

quand ton regard retenu dans le mien fait écho

dans les reins mon rire roule jusqu’au tien

j’ai ta main dans la mienne c’est juste pour jouer et je mets aux yeux

toutes les phrases que j’ai fait grandir te les tends, les tends jeu

au bord de l’étang, je

au bord de ta peau c’est le vide 

 

iel toi moi nos ressemblances dans les traits

sédiments encore se déposent

j’apporte l’eau pour suivre pour tes pommettes

hautes hautes herbes dans le lit où l’on se baigne

 

je mets des espaces vides entre nous

l’orage manque de teneur

nos secrets sont mis à l’abri en haut des collines sèches et si amoure, minérale

si amoure, ornière soufflée de chaud il faut s’habituer

 

chaque objet s’enfonce un peu plus dans celui du dessous

ce n’est pas la gravité

ta peau la mienne la sienne, recouvrent et disparaissent

 

 

 

 

nos voix mal drainées crachotent les mots

des marges des berges des marécages

depuis les sexes coquillages on entend le filet 

duquel échappées nos vies se sont étendues.

 

Limon, extrait

° ° ° ° °

 

 

réfractaire

 

une soirée sans pensées sans penser

dans la jointure du silence

je suis quoi moi

 

personne ne retient l’eau dans ses paumes

assez longtemps pour

les tendre en miroir

suis moi quoi je

 

on s’en va par le chas de l’aiguille

rejoindre les vides

quoi moi suis je

 

dispersion

faisant respirer le sang

d’un seul tour

moi je suis quoi

·

je t’oublie

je laisse glisser ton visage

vers le silence

avec l’eau

par le chas

d’un seul coup

alors que tu fais partie de la réponse

 

tu t’en vas

et moi je vais où

je suis quoi moi

je vais garder les mots les souvenirs les brebis

je vais entre les averses orages tremblements de terre

je vais sur les chemins la nuit

avec un·e ami·e

plus qu’un·e ami·e

je vais dans les formes

pour aller quelque part

pour aller aux réponses comme on va aux ronces

·

quelqu’un·e dans l’espace vacant

viendra et quelques phrases

suffiront

chhhh, t’es toi

 

noue fossé en pentes douces

voilà mon coeur simplement

et mon corps lavé d’elle

et ma tête

un puits renversé

·

prenez mes doigts, faites-en des briques réfractaires.

 

Amália Cardoso

 

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