Sous un lilas
j’ai une maison abolie
elle se situe sous un lilas
elle est bleue terre
et quand on passe ses doigts dessus, il nous en reste un peu sur la peau
elle est morte mais elle continue de pousser
comme une plante urticante
dans ma maison indocile il y a des canapés et des tapis,
du verre brisé
pas grand-chose ne reste aux murs
il y a des tables de bois de pin dont les pieds ont été sciés et plantés ailleurs
dans ma maison brutale
j’ai laissé de vieux chiffons, des capes somptueuses et des boutures que j’avais eues en cadeau je me rappelle que sur un appui de fenêtre j’ai laissé une photo beaucoup regardée
à laquelle je tenais
autour de ma maison inachevée
il y avait des champs et le bruit du vent
il y avait aussi un chemin d’eau sur lequel on n’allait jamais
on observait pourtant des grenouilles
de ma maison abolie il me reste
des échardes et les fenêtres que j’ai prises avec moi
il me reste des éclats de voix et des odeurs de cafés froids
une impression de sommeil
des cernes
une toute petite cicatrice sur le dos de la main
dans ma maison enterrée il n’y a jamais eu l’été
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Le matin arrive toujours trop tôt
c’est le ton de ta voix lorsque tu regardes au dehors
un peu crispé un peu rèche
qui se cogne contre les couleurs de la forêt
c’est la vitesse
la vitesse incalculable
qui arrondit les jours
qui se cogne contre la manière dont tu décomptes
c’est une pluie rassasiée
qui cogne les nuages et tes paumes ouvertes
qui évite toute aube et tout crépuscule
c’est l’esprit de contradiction de ton adolescence
qui se cogne contre tes mauvaises dispositions à être
c’est une table sans nappe
contre laquelle se cogne le bout de tes doigts
contre laquelle tes yeux dessinent des allers-retours
c’est ton impatience
qui s’abrutit dans les impasses
qui trace des sillons des sillons des sillons
c’est une pièce qui ne change pas
dans laquelle tu te cognes les coudes
les tempes
les avants-bras
les morceaux qui dépassent de toi
c’est une envie d’être demain qui s’amoncelle avec les autres
c’est le silence de tes parents
c’est l’habitude de ton chien
c’est le pull vert dans lequel tu te caches
quand tu te déprends de ton récit
que tu es prise, enlevée
quand tu es entamée, biseautée de côté
quand tu te cognes quand tu t’endors
le matin arrive toujours trop tôt
tu regrettes toujours quelque chose que tu as dit
tu as toujours quelque chose à dire
on aurait toujours dû ne pas prendre cette dernière bière
demain est toujours un jour trop chargé
tu fais toujours des taches sur tes vêtements
les petites sœurs sont toujours les meilleures choses au monde
on aura toujours besoin de la pluie, surtout par la fenêtre
les vieilles auront toujours raison quelque part
on peut toujours admirer la lune, la neige et les fleurs au même moment
on a toujours des rendez-vous
il y a toujours des armistices et du café
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