mon corps a un problème de
traversée il est traverséil
ne sait pas trier les choses
il garde tout ce qu’il ne devrait pas
garder laisse partir tout ce qu’il devrait
retenir un traître
mon amour
une grande fenêtre ouverte sur un incendie 

les docteurs ne parviennent pas à invoquer Marie Kondo dans mon corps
un mess
une vitrine transparente dans une matière

molle

qu’on me retire les virus

qu’on me retire l’héréditaire

qu’on me retire

l’hypocondrie qu’on me

retire la peau

qu’on me retire la peau

une bonne fois pour toute

qu’on me retire les nerfs les traces des

sulfates     les     ovaires      les     antibiotiques     le

calcaire  les  hormones   de   synthèse   les   résidus

de vodka les grains de beauté les moisissures les kystes les paillettes le goudron  l’acide hyaluronique  le stress les ogm le lubrifiant

le plomb

 

quand ils ont cherché l’aiguille

dans mon corps

 

ils ont trouvé une porte sur mon ventre

ils ont trouvé une boîte aux lettres

dans ma tête

ils ont trouvé des paquets de chips

sous mes pieds

ils ont trouvé un tgv tout autour du cœur

ils ont trouvé des milliards de chats

dans ma gorge

des milliards de chats dans ma gorge

font un sit-in

ils refusent de partir

tant que le corps n’aura pas eu

tout ce qu’il mérite

ils n’ont pas précisé

tout ce que mon corps mérite

je ne sais pas

 

à mon corps j’ai donné du

plaisir de la souplesse

du repos

à mon corps

 

ça n’a pas suffi

j’ai dû négocier fort et longtemps

il s’est cousu des bouches partout       

il n’entendait rien

il s’est cousu des bouches et des clitoris

à la place de chaque pore

 

toute la peau muqueuse

désorientée

impatiente

craquelée

battante

yolo

envahie

de rouge et de vent

toute la peau cyprine

effrontée

chronique

encapuchonnée

not sorry

diluvienne

odorante

brumeuse

drama queen

fendillée

gluante

traversante

 

toute la peau construite

sur des nerfs

des clignotements

 

je n’ai pas voulu gronder

j’ai attendu qu’il se calme

 

je lui apprendrai

au corps

 

son alarme incendie

sa facilité à mourir

on verra

ouais

 

ouvrir la webcam

pour vérifier le corps

entre le bureau le frigo le canapé

 

tiens

 

qui a fendu ma bouche d’un  zoo

pourquoi ma gorge

bat-elle plus fort que le cœur

comment mes doigts peuvent garder l’empreinte

de quelque chose qui a glissé

 

dans mes souvenirs

corps moins filé

dans mes yeux

davantage de pixels

 

reflet têtu

moment d’une mise à jour

 

bug

 

ouvrir la webcam

pour examiner la luette

qu’elle berce encore

toutes les allées et venues

 

en anglais

luette c’est uvula

 

tu l’as vue

you voulas

​

dieu aussi la voula

je l’ai eue

 

vulve à quelques longueurs près

​

cut

​

les autres parlent

à table parlent

dans la voiture

parlent

voudrais être ailleurs

​

au cinéma parlent

en terrasse

parlent ce bruit

​

le corps n’écoute jamais

dans les salons

dans les soirées

ne sais pas faire autrement

​

je pense aux clitoris que j’ai dans la bouche ceux qui se balancent

sur ma luette

petite horde qui chante

dont il faut prendre soin

troupeau rêveur

qui m’appelle

 

je me retire

 

laisse aux autres la  tempête

je me retire

à chaque fois

chercher un abri

attirée par le mouvement lent

des créatures intérieures

 

lumière

​

pp.31-38

​

Miel Pagès, La septième lèvre

éditions blast, 2022

​