infra/seum
< en Palestine j’ai vu >
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en novembre 2022
un mur colonial dressé sur des terres
qui ne le soutiennent pas
j’ai vu l’intimidation des soldats
et l’angoisse dans le ventre rond des femmes
j’ai vu la foi intarissable
de la rivière jusqu’à la mer
et des hommes prêts à tout pour vivre
dignes
j’ai vu des checkpoints et leurs armes
automatiques s’éveiller aux mouvements
d’enfants
j’ai vu dans leurs rues de Jérusalem,
les regards sombres sur ma présence noire
j’ai vu la colère,
le ras-le-bol et des millions d’âmes debout
des barrages gronder de révoltes
j’ai vu des gens ronger
la terre et ses entrailles
pour y respirer
un petit pourcentage de liberté
j’ai vu un apartheid si lucide
si absurdes mes sentiments cousent
des montagnes d’empathie
nos sens collectifs vacillent
est-ce qu’on dé / réalise ?
j’ai vu la condescendance
et le mépris des colons
la facilité des tortionnaires
la fausse légitimité des injustes
la suffisance des bourreaux aux visages gris
ils respirent tranquille
la putréfaction
de leur propre cruauté
j’ai deviné le sourire des enfants
tapi sous leurs rides précoces
de leurs moues dignes
j’ai tissé avec leurs petits doigts le V
victorieux
j’ai vu des paysages de roches et de sables
bruns effractés
par des routes serpentines
des panneaux interdits
des zones militaires défense de circuler :
- passer
- questionner
- résister
- respirer
j’ai vu la frustration des bouches asséchées
des fermiers ne pouvant plus nourrir
leur sol
des larmes irriguant des oliviers ternis
par les grappes des colonies israéliennes
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en France j’ai vu
depuis octobre 2023
un génocide en direct sur mon téléphone
des membres éclatés
des enfants écrasés par tsahal
j’ai entendu des appels au secours
des Palestinien·nes
et la douleur ne cesse de suinter
de mon écran de coltan
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j’ai vu des avions lancer
des bombes et du pain
des bébés mourir de faim
le sang d’hommes se mélanger
à de la farine de blé
et dans cette réalité m/acab/re
j’ai entendu des poètes brûler les maux
j’ai vu des jeunes Gazaoui·es danser
la souffrance
les épaules droites, la poésie dans le sang
j’ai vu des visages flous de joie et
de promesses
en France j’ai vu
les prophètes du mensonge
prendre pour cibles
les hérésies de nos cris :
cessez-le-feu colonial !
cessez-le-feu impérial !
décolonisation !
j’ai vu le feu de Rima Hassan
des militant·es silencié·es
des artistes déprogrammés
des actrices annulées
j’ai vu Émilie Gomis destituée
des jeux de la honte olympique
j’ai entendu des aberrations
les apologies d’un génocide
applaudi
j’ai vu en face le trou qui a remplacé
le cœur de l’occident depuis des siècles
j’ai vu les frontières de sa transe
j’ai vu, j’ai entendu, j’ai tout retenu, , ,
et je n’oublierai jamais.
36 000 tué·es au chevet
de l’occident
et des milliers de disparu·es
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36 000 âmes à invoquer
36 000 âmes à venger , , ,
pp.14-19
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< r.a.f. >
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j’en ai rien à foutre de la question sociale
j’en ai rien à foutre de la question raciale
je me demande seulement
comment les désosser de ma chair société
l’héritage de mon adn poubelle
à l’ombre des baobabs
l’éclat des ancêtres rugit derrière
mes enclos
occupée à reconstruire un monde
que je hais, le défaire me fait des nœuds aux os
l’illusion de l’action directe
ils disent : la violence est-elle nécessaire ?
qui a encore le temps
pour cette question de boloss
je wanda : à quelle heure notre violence ?
c’est dans cette brèche que je veux combattre
perdre le sens de la mesure des équilibres
imposés
j’idéalise pas grand-chose,
juste le monde en pratique
les luttes pauvres, noires et rouges
je fonds par vous, , , pour nous
comment s’autodéfendre, ,, ,
poser des bombes avec mes mots ?
comment tuer le flic,, ,, ,,
suicider le bourgeois en moi ?
comment ça va ? on est là hein
boulet de canon scié, ma tempe trouée
de souvenirs
l’amour des bas-fonds, mes bidonvilles
les spectres des révolté·es hantent
les communes, le béton, mes draps, , ,
de ta rage dont sont tissés mes rêves
ça pue encore le venin j’y peux rien
la rumeur de ta libération est proche
c’est une enveloppe qui fait tout craindre
le soulèvement des divinités de la rue
les éclopé·es, les putes, les barbares
en naïveté
les klaxons dans brazza c’est la cacophonie
en résistance des gilets noirs
colère dans molards
poussiéreux d’espoir.
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pp.109-111
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Douce Dibondo, infra/seum
éditions blast, 2024
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