Composition à partir du morceau Walk de Ludovico Einaudi et bandes-son extraites de Paroles, paroles, Dalida et Maman les petits bateaux interprété par Baby Songs Tube. Mixage Hélène Miguet.
Venir au monde par la langue
Une nuit plus blanche que les autres
je suis venue
Je suis venue d’une lointaine
Je me souviens je suis venue d’une lointaine plaine aux herbes sans mémoire
d’une lointaine horizonne je suis venue de l’Ouest des grands lacs d’avant la
respiration des limbes et de leurs ombilics tortueux venue moi d’une lointaine
sans lointain sans mots qui serrent sans sexe fiable sans perche stable
Petit corps en cris venu dans le silence des pianos
J’avais déjà des mortes sur la conscience
mais la parole en héritage Rappelez-vous « -Parleparleparle c’est bien
elle parle déjà elle a quel âge la petite dis merci allez parle-toi et marche »
ton héritage parler pour avoir le droit d’aller comme les bateaux parler pour
avoir le droit de venir au monde parolesparoles déjà alors j’ai parlé pour faire
plaisir - je sais ça faire plaisir - puis je me suis tue parce que je n’avais pas
de plaisir à le faire
je me suis tue
tuée
tu es
tu es retournée à la forêt d’où tu venais tu t’es couchée en silence dans l’intérieur
d’une souche pourrie tu as attendu toute petite dans l’intérieur humide du bois
pourri
tu t’es tue tuée en attendant quoi ?
-La langue en attendant la langue si je vous jure en attendant de trouver ma
langue comme on trouve sa voix
Trouver une langue qui ne soit pas parolesparoles
La parole c’est la même pour tous on parle ça fonctionne ça renseigne ça instruit
ça codifie ça fixe l’heure du rendez-vous le sexe de la chose les limites pas
d’horizonne possible dans la parole la parole est borne borne borgne
Tandis que
c’est de langue que je suis moulée
La langue me maraude me méandre me macule m’accule aux mots et j’aime ça
la langue me prend comme on prend la peine son train son pied
Elle m’entre la langue en dedans me pénètre avec le monde l’humus du
monde elle me vient au monde
Cela crée des nuits de chapelles ardentes
Elle m’entre la langue en myriades en meute comme je voudrais t’entrer en
matière que tu m’entres en matière car la langue est matière ma terre la langue ma
terre rare
Je crois qu’on entre en poésie comme on entre en dévotion par la langue
La langue nous vague nous divague nous froisse nous ordure nous cunnilingue
elle me larme me déferle me balance balancier aussi elle me retient sur le bord
d’aimer ma langue te funambule t’équilibre
elle te consent surtout te consent en silence et en cris
La langue est la seule à nommer les choses avec leur consentement
(Par exemple :
Il pleut
Je pense une femme
Et l’odeur du bitume qui mouille monte)
Voilà ce que la langue fait à la poésie
Elle vérifie que le monde frotte encore


