Rafales - extraits -
Ce livre est d’abord le résultat de marches solitaires sur les bords du lac Michigan en hiver, et plus précisément sa partie sud-ouest (états de l’Illinois et du Wisconsin). Ce lac aux dimensions d’une mer intérieure était autrefois le lieu de vie d’Indiens d’Amérique, entre autres le peuple Potawatomi, membre de la grande nation des Indiens Anishinaabe. C'est à ce peuple que l’auteure veut rendre hommage en témoignant de sa présence sur les bords du lac, présence encore palpable bien qu'il a été dépossédé de ses territoires depuis plus de cents ans. Ce recueil composé de vers et de proses, rassemble méditations et descriptions, mais surtout rend compte d’une expérience vécue entre deux univers : l’occidental informé par deux de ses langues (anglais et français), et l’amérindien manifesté par l’une de ses langues à savoir l’anishinaabemowin, de la grande famille des langues algonquines. Plus on avance dans le livre et plus on comprend que le véritable « héros » en est le vent. Cette force et puissance, face à laquelle l’humain semble bien petit, les Indiens d’Amérique la comprennent comme principe de vie par excellence : elle circule en tous, en toutes et en chacun·e, nous visitant et nous quittant tour à tour. Construit à la manière amérindienne, le livre ouvre et se termine sur une légende formules rituelles appropriées, sachant que traditionnellement, pour les Indiens, l’hiver est la période de l’année réservée aux contes.
Rafale N° 19
S’engouffrant par le nord
les vents ont enseigné leurs langues aux Algonquins.
Millioki : lieu de rassemblement auprès de l’eau. Désormais lieu de
confluence et d’affluence : Milwaukee.
Rafale N° 20
Variante soufflée de l’ouest : milleoiki.
Soit bonne terre en Chippewa.
Ou Ojibwa.
Les branches sœurs des peuples Anishinaabeg.
Rafale N° 21
Neshnabé neshnabé neshnabé : sifflement dans la caresse des vents
sur les herbes ou dans les feuilles. At daybreak.
Waubonsee (Il Attaque à L’Aube) est le « chef » des Nesnahbés : les gens
de l’origine reconnus sous le nom de Potawatomi.
Rafale N° 22
Waub. Long souffle. Ou répété de façons saccadé. Waub est le blanc.
Waupaca une ville blanche.
Waupecan creek : sable blanc au fond des eaux.
Rafale N° 25
Juste comme ça.
Comme on claquerait des doigts.
Le soleil sur la neige.
Un éclair de lumière relie ciel et terre sans que rien ne semble avoir
bougé. Pas même la tête pas même les yeux : une enveloppe de gris
soustrait votre ombre et celle des troncs.
La clôture en haut de la dune disparaît.
C’est ensuite qu’on le ressent.
Une lame souple vient se coller à vous pour vous apprendre l’exacte mesure de votre contour. Le vent toujours.
Rafale N° 26
Gémir. Geindre. Hurler. Rugir. Aboyer. Miauler. Siffler. Cisailler.
Renverser. Mugir. Hululer… Gronder. Quelques verbes empruntés au
vocabulaire du blizzard. Comme s’il cherchait à creuser en nous
l’espace d’une question. La question dont nous avons faim. La
question est notre famine. L’estomac dans les talons. Rouscailler.
Beugler. Râler. Tonner.
Rafale n°39
Les Indiens disent : le vent parle. Il faut l’écouter.
Qui parle et qui fait parler en arrive à dire : considérons nos vents comme un mode de langage. Cela implique les avoir hébergés dans nos os dans notre sang. Dans toutes les cavités du corps des pieds à la tête. Que le vent ait pu se charger des joies et des peines. Qu’il sache comment il se forme et circule. Qu’il sache ensuite parler de nous à tout ce qu’il rencontre dès que relâché à l’extérieur de nous.
Pour conséquence le comprendre. Prendre avec. Respirer c’est
entendre parler de tout ce que le vent a rencontré avant d’arriver
dans les poumons.
Béatrice Machet, Rafales, éditions Lanskine, 2024